Brief van J. Laffitte (Parijs) aan Pieter MG (1832-1887)
Brief van J. Lafitte (Parijs) aan Pieter MG (1832-1887) van 2 juni 1871.
In 2016 vonden Sigrid en Lydeke MG in één van de vele dozen met documenten uit de nalatenschap van hun vader Godert Willem MG (1924-2012), een envelop met daarin 6 pagina's handgeschreven tekst, op flinterdun papier, nog helemaal intact. Het bleek een Franse brief van een Parijzenaar - de heer J. Lafitte - aan hun voorvader Pieter MG in Delft. Dat was de grootvader van hun grootvader, wat verklaart dat hij in de doos bij Godert terecht was gekomen.
Met behulp van een Franse vriendin is Lydeke de brief gaan lezen en vervolgens uittikken zodat hij ook voor anderen leesbaar werd. De originele tekst is prachtig geschreven maar lastig te lezen. De brief bevat het relaas van een dagenlange tocht door het bezette Parijs. Tijdens die tocht schreef Lafitte elke keer nauwgezet op wat hij onderweg zag: barricades, gevechten, gewonden en doden. Hij was terecht gekomen in het zgn. 'Beleg van Parijs' in 1870.
In 2017 hebben Sigrid en Lydeke de brief meegenomen naar het museum Carnavalet, het historisch museum van Parijs. De directrice van het Carnavalet - met wie Lydeke voorafgaand e-mail contact had over de brief - was ongelooflijk blij met dit ooggetuigenverslag. Het zal een mooi plaatsje in het museum krijgen zodra dat weer opengaat, want het is al een paar jaar gesloten wegens renovatie.
Sita MG en haar man George Tabisz hebben de brief vertaald. George heeft de vertaling naar het Engels op zich genomen en Sita vanuit het Engels naar het Nederlands: Lettre de Paris 1871 - English translation - Lettre de Paris 1871 - Nederlandse vertaling
Mes chers amis,
Il est une heure et je veux écrire, sous l’empire des impressons du moment, ce que j’ai vu, c’est le seul moyen d’être vrai, la réalité est tellement saisissante, si pleine d’intérêt, qu’elle ne laisse aucune place à l’imagination; les faits de la nature que je veux décrire doivent être racontés tout simplement.
Le 21, sous l’influence d’une tristesse mortelle, j’avais quitté des amis à 8 heures du soir, le diner avait été très bon, la reception des plus cordiales; on avait cherché à se distraire quelque peu des sombres pensées qui, malgré nous, nous envahissaient, en frédonnant tout le répertoire si charmant de Loïsa Puget; rien n’y faisait et nous nous séparions, les uns se dirigeant vers les Batignolles, afin de voir d’où venait la furieuse cannonade qui nous assourdissait, moi regagnant mon gîte, rue de Richelieu.
A deux heures je fus réveillé per clairons et tambours, c’était le rassemblement que j’entendais.
J’ai toutes les peines du monde à me rendormir, quoique pour m’y préparer j’eusse fumé un excellent Londrès, et pris un verre d’eau sucré a la fleur d’oranger; je suis fort loin d’être lucide je le confesse, et dès lors on doit me croire lorsque j’affirme que, par une sorte d’intuition, j’avais le pressentiment d’un évènement important, en quel sens? Je ne le savais certes pas.
A six heures j’entendis un grand tapage dans les environs, je fis mes premiers préparatifs de toilette, sans m’habiller pourtant et me recouchais, dans l’espoir qu’un sommeil réparateur me rendrait le calme dont j’étais privé depuis longtemps.
Impossible! Les Versaillais sont dans Paris, vient de me dire un exalté trembleur, et l’on se bat dans les rues de Paris. J’ai une très vieille expérience des combats de la rue et bien vite je me mis en route, un ami m’attendait pour déjeuner.
Je suis en toute chose fort exact et je prévoyais les obstacles à rencontrer; je prends ordinairement le chemin le plus court, donc j’optais pour la rue du 4 Septembre.
Rebrousser chemin fut ce que je fis immédiatement; au coin du boulevard Haussmann les gardes nationnaux me font observer que les projectiles pleuvent et je vois en effet des gamins qui nous en montrent les débris.
J’hésitai un instant; pourquoi ne le confesserais-je pas? Mais basta! Je suis de ceux qui croient que ce qui est écrit est écrit; je fis le fanfaron et traversai d’un pas délibéré ce rude et périlleux passage; sauvé! m’écriai-je mentalement, en longeant le mur, et hardiment j’entrai dans la rue de Londres; autre alerte: attention me dit un officieux, n’allez pas plus loin, les balles sont comme des folles, et comme la fortune frappent à l’aventure; jacta est alea, dis-je à ce bienveillant conseiller, je me réfugie rue d’Amsterdam! Il le faut! Non sans éprouver quelques frissons j’arrivai à la rue St. Lazare; en passant devant la gare j’entendis ce colloque entre deux fédérés; que ferons-nous? Que faire? Nous ne sommes plus que deux et nous ne sommes pas de Léonidas! Filons! Je les y encourageai et encore une fois, je m’écriai: Sauvé!
Vous connaissez tous Lefèvre n’est-ce pas? Qui ne s’est arrêté à son restaurant hospitalier de la gare St. Lazare? Je lui racontai mes pérégrinations, mes tribulations. Restez avec nous me dit-il, me dit son aimable femme, me dit sa gentille fille. Ma foi, je suis resté, j’ai pris part au déjeuner de la famille, à la même table se trouvait le docteur Humbert, homme de science et d’humanité, courant de ci, de là, partout òu avait lieu une fusillade, il ramena un pauvre vieillard, une balle lui avait traversé le cou; deux braves infirmiers le portaient, une vaillante femme du peuple lui soutenait la tête, en agitant son mouchoir, afin que l’on ne tirât pas, et en effet le feu s’arrête pendant la traverse de la rue St. Lazare, hélas! L’homme avait rendu son dernier soupir et Madame Lefèvre se signant, récita une courte prière.
Bientôt la troupe de ligne s’est emparée de la gare. Le bataillon n’avait pas dormi depuis deux jours, ils supportaient vertement la fatigue et prirent à peine quelques verres de bière. Des sentinelles furent posées, guettant les rue de face; survint rue St. Lazare
Le colonel recommande de ne tirer que sur les hommes armés, se refusant de jeter leurs fusils.
Je demande du papier pour écrire tout ceci; je choisis une table où d’être commodément il me serait loisible; le garcon que la fusillade a l’air de troubler un peu me fait attendre, je ne sais pourquoi je me mets à la table à côté. Paff! Arrive une balle qui, si j’avais occupé la place prise dix minutes auparavant, m’aurait occasionné une très désagréable sensation dans le dos; un garcon survenait précisément au moment où le plomb s’introduisit frauduleusement dans le café, heureux garcon! Il tenait un plateau sur lequel étaient empilées de nombreuses tasses, ells lui servirent de plastron, tout tombe en éclats; victime expiatoire, la vaiselle lui avait sauvé la vie. Pas n’est besoin de vous dire, que je m’empressai de chercher un autre endroit plus abrité, dans le même local. J’avais oublié de vous dire, que nous avions déjeuné dans la cave.
L’un de nous, que je ne nommerai pas pour ne pas blesser sa modestie, nous a chanté d’une voix fraîche et ravissante: “Buvons, amis, oui buvons ce matin, sommes-nous sûrs de boire encore demain?”
Je viens d’écrire ceci dans le bureau de Mr. Rossignol, qui m’a offert une gracieuse hospitalité.
Je demande au colonel de 4ième par quel diable de chemin je puis me rendre rue de Rome; deux voies, me répond-il, rue d’Amsterdam ou rue St. Lazare, toutes les deux sillonnées de balles, allez si le coeur vous en dit, sans garantie du gouvernement.
Le coeur, n’ayant pas un amour féroce pour les balles, se tait; je demande un Bock et j’attends, Dieu veuille que je continue ces lignes; je crois que je ne cours aucun danger, pas même celui d’être arrêté par la Commune, j’ai un courage héroïque, le canon gronde, la fusillade est incessante, je suis abrité par un épais pan de muraille, Lefèvre fait monter sa cave, et ne dit pas comme le Barbier “on rase demain gratis”.
4 Heures et demie. Le commandant Béranger se rend à la caserne de la Pépinière, je l’accompagne; à deux ou trois reprises, à des enfilades de
La prudence étant la mère de la sureté, mon ami songea que son garde-manger était vide et nous nous déterminâmes à aller en maraude; les imprévoyants bouchers n’avaient plus le moindre quartier de viande, nous errons piteusement jusqu’au marché Laborde, non sans prendre le chemin des écoliers, car à chaque tournant de rue on nous criait, “garde à vous, les balles pleuvent!”
Louange à Dieu! Nous trouvons encore un chou-fleur, des cerises et un poulet!! Nous aurons la vie sauve, et comme le sage, emportant tout avec nous, nous recommandons avec un très sincère sérieux de ne pas laisser brûler le roti; il fallait bien faire quelque diversion à nos tristes pensées. Nos aimables hôtes du matin avaient recu l’ordre de se mettre
En ce moment la fureur de savoir nous gagne et nous sortons. Je voulais écrire mes impressions au jour le jour, décrire ce que je voyais, ce que je ressentais, cela m’a été impossible, comment penser, comment s’asseoir même?... La fièvre était dans toutes les veines, il fallait être dehors, toujours dehors; l’imagination était frappée de ce dont on avait été témoin, on sentait que l’inconnu dont on était menacé devait dépasser toutes les limites des horreurs à prévoir; et cependant le danger était imminent partout, nul quartier n’était à l’abri, nulle rue n’offrait un abri; les bombes circulaient, les balles sifflaient des hauteurs environnantes. Des maisons où s’étaient embusqué, invisibles, les fédérés, qui plutôt que de se rendre préféraient s’ensevelir sous les ruines fumantes de la capitale du monde civilisé; à droite, à gauche, de toutes parts la fumée naissante décèle les ravages implacables du pétrole; tous nos édifices, tous nos plus beaux monuments, sanctuaires des Sciences, des Lettres et des Arts, dépôts de traditions séculaires, sont enduits de pétrole, des barriques y ont été amoncelées, ce corps spécal dit de Fuséens, rebut impur, délivré des prisons où ils expiaient leurs forfaits, étaient chargé de mettre le feu; des femmes, des enfants ont été enrôlés, et par les soupiraux, par les trous de caves, par les égouts les matières incendiaires devaient être introduites et opérer leur oeuvre de destruction générale, complète de Paris; il ne devait rester que des décombres de manière que le voyageur ne trouvât que des cendres et put s’écrier: Là était Paris! La perte est immense, elle m’a pu être aussi absolue que l’avait projetée ces hommes infâmes, dont la plupart, grâce à Dieu, n’étaient pas Francais.
L’armée s’est montrée héroique, ce qui prouve qu’en ces jours néfastes elle est encore en mesure de reprendre une vraie campagne, contre quiconque prétendrait se prévaloir de nos calamités publiques pour se montrer insolent à notre égard. La France n’est pas morte, loin de là, elle a expié, elle est pardonnée, elle se fortifie par le malheur même, et le jour n’est pas bien loin, où l’aigle que l’on croyait avoir frappé à mort, étendra ses ailes, dans ses puissantes serres le drapeau tricolore, se promènera sur tous les points d’où viendront les attaques, non pour envahir, mais pour civiliser.
Il est temps, car je le répète, la mort planait partout, sous toutes les formes, et j’affirme que pendant ces jours derniers elle n’a semblé m’épargner que par un vouloir providentiel; j’adopte la maxime musulmane: “Il ne saurait arriver que ce qui est venu”. Là où tout paraissait tranquille une bombe survient, plus loin une balle partie de je ne sais où meurt presque sous ma botte, je causais avec un colonel et me contentait de lui dire que bien certainement ce n’était pas à mon adresse et qu’il devenait de périlleuse compagnie. J’éprouverais un véritable et sympathique bonheur à serrer la main à son état-major.
Je rentre le coeur navré, je jure de ne plus mettre le pied dans la rue, pourquoi ne me suis-je pas tenu parole? Quelques détours que je fis je ne vis que cadavres, que prisonniers entre des files de soldats, les uns pour être dirigés sur Versailles, les autres pris les armes à la main, pour être menés au champ d’exécution sommaire, parmi eux des femmes, des enfants, malheureux êtres égarés, qui, même après la défaite, cherchaient à accomplir la mission dont les avaient chargés d’infâmes fanatiques; celle d’incendier!
Hélas! Hélas! Beaucoup ne méritent ni grâce, ni merci; mais, beaucoup aussi ont été entraînés, forcés, ils viendront à résipiscence, ils rachèteront leurs fautes, ils deviendront de bons citoyens. La pauvre France a été décimée par la guerre étrangère pour que les Francais ne continuent pas cette oeuvre à la joie des Prussiens, cependant on ne peut prévoir où s’arrêtera la réaction, que de dénonciations vont être faites! Et le zèle de ceux-là qui dénonceront à tort et a travers, sera-t-il apprécié, modéré par la justice, qui ne doit pas errer, et qui n’erre que trop souvent!
Enfin, l’armée a surmonté sur tous les points, je ne veux point parler de nos désastres généraux; je n’en ai point le courage, et d’ailleurs, les feuilles publiques se chargent de ce soin pénible.
Je vous serre la main, je vous souhaite de n’être jamais témoin de semblables horreurs, et je serai heureux de vous aller bientôt visiter dans cette paisible et sage Hollande, où le rhumatisme est aussi fréquent et facile, que l’hospitalité du pays est gracieuse et sincère.
Vous en dire davantage est trop douloureux pour moi, et serait trop pénible à lire.
Je m’arrête en vous répétant que je suis et serai